Les années étudiantes

Les années étudiantes

Dans une petite ville de province, la vie est aussi paisible que prévisible. Tout le monde fait tout ensemble. On papote, révise, flâne, critique untel, va à la plage, critique unetelle, fait ses courses (avant 19h), va au ciné (à 19h pile), fait une soirée (après 19h), où on critique tout le monde, toujours ensemble.

L’anonymat n’existe pas.

Lorsque je décroche une place en fac de médecine à Paris, je fuis à grandes enjambées et me noie dans la foule de la capitale sans aucun regret.

C’est la découverte de la vie urbaine, du métro, des librairies Fnac, des fêtes débridées et des restaurants ouverts jusqu’à 6h du matin. L’heure des premières angoisses face à la mort et à la souffrance, aussi, lorsque je décide de m’attaquer d’emblée au pire en choisissant le service des urgences d’un grand hôpital. À 20 ans, l’un de mes premiers patients meurt dans mes bras après que nous ayons papoté comme deux vieux amis pendant près d’une heure. Une seconde, on plaisante ensemble. Il a le même âge que moi, il me raconte ses vacances, sa copine, ses projets. La seconde d’après, il convulse. La suivante, il est mort.

Bon.

La vie n’a aucun sens, on vient de me le signifier très clairement, au cas où je n’aurais pas compris.

Les bases de mon mode d’existence bizarre se mettent en place à ce moment-là : je dors le matin, je dissèque des cadavres l’après-midi, je travaille dans les fast-foods le soir et j’écris la nuit.

Enfin, écrire est un grand mot, disons plutôt que je m’applique à rédiger des articles. L’idée est de ne pas penser sans cesse à la médecine et de faire autre chose. Ça tombe bien, le diablotin « Jeu de Rôle » vient de se repointer pour me titiller sous une forme inattendue : je suis engagé comme collaborateur du journal Casus Belli, le célèbre magazine des jeux de rôles.

Je me jette dedans à corps perdu.

Pendant huit ans, je poursuis mes études et j’écris en tandem avec mon meilleur ami, étudiant aussi cinglé que moi (il finira d’ailleurs chef de psychiatrie). Nous écrivons à deux une bonne centaine de scénarii, dont quelques-uns marquent l’époque et demeureront des classiques parmi la génération des « rôlistes » (c’est le nom qu’on nous donne, un peu comme les gens atteints d’une maladie grave).

Je croule sous le travail, je ne dors plus, je ne mange plus, je n’ai pas un sou, mais je trouve le temps de me marier.

C’est le bonheur absolu.

Romans